Pour une stratégie syndicale universitaire

Pour une stratégie syndicale universitaire

Bien au-delà des adhérent.e.s du SNESUP, les constats sont partagés de l’affaiblissement – délibérément organisé par les gouvernements successifs – de la plus grande partie de l’enseignement supérieur public. D’autres organisations syndicales, certes moins représentatives, CGT, Solidaires, voire FO, produisent des analyses nationales très proches. Il en est de même dans le large spectre des collectifs plus ou moins éphémères nés depuis une vingtaine d’années (SLR, SLU, Science en Marche, groupe Jean-Pierre Vernant, RogueESR…). Ces mouvements qui, mis à part le SNESUP, n’ont pas un « corpus revendicatif » large et stabilisé et encore moins des structures visibles (ni au plan national, ni au plan local), mais fonctionnent avec des listes de diffusion, des sites internet, des réseaux de contacts dans l’institution universitaire, dans les appareils politiques et les médias, définissent de facto une mouvance qui va bien au-delà des militant.e.s repéré.e.s de telle ou telle de ces structures. Ces dernières sont de moins en moins étanches les unes aux autres, d’autant que nombre d’entre elles restent informelles. Si l’on risque une estimation (par exemple fondée sur la récente lettre ouverte appelant à la démission de la ministre Vidal), cette mouvance représente environ 20 000 individus (inégalement mobilisables) du monde professionnel de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Ne le cachons pas, comme dans l’espace politique de la gauche, la concurrence entre ces groupes syndicaux et collectifs est extrêmement vive. Elle ne porte pas tant sur les analyses, les revendications (en l’occurrence toujours globales) que sur les modalités éventuelles d’actions collectives et surtout sur le rapport aux médias, aux représentants politiques (partis et parlementaires) par la mise en avant de tel.le ou tel.le, pratiques que l’on sait exacerbées en milieu universitaire (elles sont inséparables des pratiques de recherche et de carrière…). Cet aspect est très spécifique au monde universitaire, il ne se retrouve que très marginalement dans le syndicalisme « ouvrier » et dans le syndicalisme de l’éducation nationale.

Définir une stratégie syndicale spécifique au monde de l’enseignement supérieur et de la recherche, pour le SNESUP exige d’y intégrer ces éléments d’analyse.

Aujourd’hui existe-t-il une stratégie syndicale du SNESUP ?

Si on y réfléchit bien, la question n’est pas si naïve : qui aujourd’hui en 2021 peut identifier une démarche de cette nature, qu’elle relève des décisions de congrès (ou au moins de la CAN tant les enjeux relèvent bien d’une délibération démocratique et non pas d’une impulsion de l’exécutif de direction) ou pour le moins d’une orientation nette de l’un des courants de pensée AS ou EE-PSO qui se partagent la direction du syndicat. On trouve la même impasse sur cette question centrale dans le rapport d’activité et la plupart des textes préparatoires au congrès… alors que peuvent apparaître pour les adhérent.e.s du SNESUP, des différences entre ces courants de pensée sur la conception du syndicalisme et le fonctionnement du syndicat (démocratie, rapport local/national,…).

Il ne s’agit pas de confondre stratégie et « propositions ». Comme mentionné plus haut, l’histoire du syndicat, sa présence dans les établissements, dans les batailles revendicatives depuis des dizaines d’années, dans les instances nationales comme le CNESER, le CTU, les CAPN (pour nos collègues du second degré) pour lesquelles il se présente avec des plateformes électorales, rendent le SNESUP inégalable en matière de « corpus revendicatif », les organisations syndicales concurrentes construisant les leurs par effet de démarquage sur quelques points. Sur les aspects « analyse des logiques politiques » et « propositions alternatives », le SNESUP présente donc pour les collègues une cohérence nationale (qui ne lui est pas si singulière, comme mentionné plus haut) et des identités locales contrastées, fruits des aléas de ses implications dans les exécutifs universitaires. Il ne s’agit cependant pas là -et cela ne constitue pas- une stratégie.

Qui dit stratégie dit moyens organisés de réaliser les objectifs revendicatifs dans un horizon temporel raisonnable.

Si l’enseignement supérieur et la recherche public, ce sont environ 200 000 personnes salari.é.s permanent.e.s (dont moins de 70 000 dans le champ de syndicalisation du SNESUP et environ 20 000 dans celui du SNASUB), c’est aussi plus de 2 millions d’étudiant.e.s ! Pour beaucoup, dans et hors le monde universitaire, cette donnée encore amplifiée par la « peur » qu’inspire à tous les gouvernements les mouvements étudiants, fait des revendications professionnelles des universitaires des variables d’ajustement en marge des avancées que peuvent obtenir des luttes étudiantes. Il incomberait ainsi au SNESUP, voire plus largement à la mouvance attachée au service public universitaire, d’accompagner (en amont comme en aval) les colères étudiantes. Mais encore faut-il que ces colères se manifestent et qu’elles mettent en avant des revendications qui ne seront pas dévoyées (pensons à la conception de la « professionnalisation » qui s’est imposée ces 10 dernières années). Pour de nombreux collègues, cette forme de lutte par procuration s’est petit à petit imposée comme la seule possible, de même que sur un plan plus général les grèves des salarié.e.s des transports (SNCF et RATP surtout) sur les enjeux de la protection sociale et des retraites.

Cette vision qui peut être enrobée de l’habillage « convergence des luttes » ne constitue pas une stratégie, pas plus qu’une conception du syndicat (largement présente du côté EE-PSO) qui en fait par essence une structure dispensatrice de moyens aux collectifs proches pour aider à leur auto-organisation (sic).

Quelle stratégie alors ?

En premier lieu, il faut déjouer le piège tendu par les gouvernements successifs dont l’objectif est d’anesthésier la contestation en associant les syndicats dans un « dialogue social » mou, sans rapport de force, chronophage, aboutissant à des compromis en trompe-l’œil, conséquence une politique des accords dits « majoritaires » avec le syndicalisme d’accompagnement… Le vocable « corps intermédiaires » utilisé par les gouvernements est un élément révélateur de cette volonté d’annihiler toute contestation. C’est à l’inverse le choix clair d’un syndicalisme de masse et de lutte qu’il faut faire et confirmer.

Mais pour construire un rapport de forces favorable aux revendications pour le service public d’enseignement supérieur et de recherche (tant dans ses missions que pour ses personnels et étudiant.e.s), il est indispensable d’associer les dimensions spécifiques aux métiers d’enseignement et de recherche (et parmi elles, celles évoquées plus haut) dans leurs déclinaisons locales et nationales en fixant un horizon, des étapes et des moyens.

  Faire de chaque renouvellement des conseils centraux dans tous les établissements un élément de cette bataille globale et associer à celle-ci les élections dans les composantes (UFR, Ecoles internes,…) et celles de leurs directions.

  Rendre public, engranger, solidariser les succès ; fédérer les élu.e.s et les exécutifs s’inspirant des revendications syndicales dont certaines doivent être clarifiées.

Associer autour et dans le syndicat, sans exclure des modifications organisationnelles du SNESUP, le plus grand nombre de collègues (qu’ils ou elles soient déjà organisé.e.s ou non) avec une double exigence :

1.   syndiquer massivement les doctorant.e.s sur contrat (salarié .e.s) et les précaires

2.   valoriser et réhabiliter la démocratie syndicale comme règle lisible de délibérations (alors que collectifs et structures informelles contournent cette dimension essentielle).

Gagner la majorité dans le plus grand nombre d’instances universitaires et valoriser ces succès : établissements, réseaux de directeurs d’UFR, sections du CNU, CP-CNU, CPU.

  Interroger et agir contre l’émiettement syndical, en priorité avec nos camarades du SNCS, du SNASUB, de la CGT, de Solidaires.

Tout cela construit un ensemble d’objectifs, une chronologie. C’est l’élément essentiel d’une dynamique de luttes sociales qui, liant de manière indissociable fins et moyens, contribuera autant à l’invention d’une nouvelle citoyenneté universitaire qu’à ce que nous souhaitons d’indispensables bouleversements législatifs et budgétaires.

AGIR !  avril 2021

Site AGIR : https://agirsnesup.fr et contact : 

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