Note sur les CPJ
Les chaires de professeur junior (CPJ) sont un dispositif présenté par le gouvernement Philippe (avec F. Vidal au MESRI) dans le cadre de la loi LPR pour casser la logique du recrutement d’enseignants-chercheurs ou de chercheurs par la voie statutaire –en tant que Maitres de Conférences ou Chargés de Recherche. Sur un petit nombre de supports demandés par les établissements universitaires (voire d’organismes de recherche) et validés par le ministère sont ainsi recrutés pour une durée maximale théorique de 5 ans – et donc en CDD – des titulaires d’une thèse, de nationalité française ou non, susceptibles de produire une recherche thématisée dite d’excellence et de « gagner » directement au terme du contrat et après validation du CDD par une commission ad hoc, le statut de Professeur d’université ou de Directeur de Recherche. Ces chaires bénéficient de conditions de rémunération et de moyens budgétaires de travail scientifique nettement bonifiés en comparaison des salaires et des conditions de travail des Maîtres de Conférences statutaires. L’affichage dans la communication du ministère met en avant : « Laisser plus de place aux disciplines émergentes (neuro-informatique, bio-informatique, biochimie, écologie moléculaire, nanotechnologies…). Donner une part centrale au projet de recherche, sortir des logiques disciplinaires [nous soulignons] et mieux prendre en compte la diversité des mérites des candidats. »
Quelques chiffres
À la date du 10 janvier 2023, le ministère avait autorisé 173 chaires sur les campagnes 2021, 2022 et 2023.
Quelques champs disciplinaires concentrent beaucoup plus que d’autres ces chaires :
35 informatique/électronique, 26 biologie (au sens large), 11 économie, à comparer avec 5 chaires pour l’ensemble des lettres et langues.
Transparait ainsi la priorité de ce dispositif : ajouter le mécanisme des chaires aux multiples passerelles entre le monde de la recherche publique et les sphères économiques et financières qui cumulent déjà, au titre du Crédit Impôt Recherche, des ANR et du plan de relance, en particulier dans les secteurs économiques qui apparaissent ci-dessus, de considérables aides financières de l’État.
Pour le prochain budget 2024, la ministre S. Retailleau a annoncé que sur les 600 « nouveaux emplois » pour tout le champ et tous les métiers de l’enseignement supérieur et de la recherche …200 seraient fléchés pour des CPJ. Rappelons encore que ces CPJ ne sont pas des supports budgétaires de titulaires !
Un difficile bilan des recrutements
Toutes les chaires publiées jusqu’ici n’ont pas été pourvues. Les fiches de poste aux exigences souvent pluridisciplinaires délirantes découragent à bon droit et entrainent de facto un petit nombre de candidatures, parmi lesquelles le jury constitué (bien sûr de collègues internationaux de « premier ordre ») se refuse à choisir un·e candidat·e dont l’ « excellence » n’est pas encore avérée. Ni l’âge moyen des candidats et des lauréats, ni la nationalité, ni leur situation précise au moment du recrutement n’ont été systématiquement récoltées (jeune docteur de l’établissement, post doc depuis N années dans l’établissement, collègue déjà statutaire mais souhaitant bénéficier de la manne financière disponible,…). Ni France Université (ex CPU), ni les services statistiques du ministère n’ont publié d’enquête. Au plus tôt selon les services du MESRI, un aperçu des deux premières campagnes devait être joint au bilan annuel des concours (annoncé pour juillet 2023 mais non publié). Le silence du ministère et des établissements sur le simple bilan factuel de ces recrutements est édifiant.
Les analyses syndicales confortées
Dans toutes les instances nationales de concertation le dispositif CPJ a été repoussé par le SNESUP et le SNCS (FSU), syndicats les plus représentatifs des personnels concernés qui, de longue date, revendiquent des recrutements massifs au plus près de la thèse sur des emplois statutaires avec des aménagements de service en début de carrière pour démarrer in situ des projets de recherche adaptés à l’environnement scientifique de l’établissement d’accueil. Contre ce dispositif des chaires, toutes les organisations syndicales se sont montrées cohérentes et solidaires. Comme pour les « chaires mixtes » soutenues par V. Pecresse et N. Sarkozy en 2007, peu à peu abandonnées, ce dispositif qui introduit une concurrence infondée entre jeunes collègues est inadapté et régressif. Il constitue un effet d’aubaine pour certains laboratoires lancés comme beaucoup d’autres, et sans scrupules, à la recherche de fonds et de renforts scientifiques. Dans son mécanisme il faut relever la considérable régression qu’il constitue, puisqu’au contraire des recrutements « ordinaires » de MC ou de CR, ceux qui concernent les chaires sont effectués exclusivement par des PU et des DR. Cela affaiblit non seulement la forme spécifique de démocratie universitaire qu’est la collégialité, mais diminue la dynamique globale qui relève des missions communes des enseignants-chercheurs et des chercheurs. Le « modèle mandarinal » qui reste celui en vigueur dans le monde hospitalo-universitaire fait par ce biais un retour en force inédit depuis 1968 dans l’ensemble du monde académique. Les CPJ sont bien emblématiques de la conception libérale de la Recherche que portent depuis des années les gouvernements…et la bataille pour y faire échec est bien essentielle. A Tours, la position de notre université qui n’a pas cédé à ces sirènes et ces pressions tant du ministère que de certains lobbys est un réel point d’appui.
Jean Fabbri